dimanche 8 janvier 2012

Enfances (Sempé)

Quel plaisir de découvrir ce livre au pied du sapin, le 24 décembre ! Je l’avais repéré en librairie et n’avais pas manqué de l’inscrire sur ma (très) longue liste de souhaits au Père Noël. C’est donc avec impatience que je l’ai ouvert et je l’ai dégusté comme une gourmandise.

A travers près de 200 planches et une centaine de pages d’entretien mené par Marc Lecarpentier, ancien directeur de Télérama, j’ai découvert un Sempé touchant, qui tel Peter Pan refuse de grandir. Lui-même le confesse : il m’est arrivé de devenir par moments, raisonnable mais jamais adulte. Il vit dans un monde intemporel où les petits garçons sont toujours en culottes courtes, et où les petites filles portent des chapeaux de paille. Un monde délicieux qui a le goût des roudoudous et des bâtons de réglisses.

Tel un psy, Lecarpentier fait parler le papa du « Petit Nicolas » de son enfance bordelaise, le poussant dans ses retranchements, jusqu’à recueillir la substantifique moelle de ses confessions. Le contraste entre les dessins insouciants et l’enfance lugubre et un peu tragique de Sempé est saisissant. A l’instar de Cyril Cyrulnik, on peut dire que Sempé est un exemple de résilience et a pratiqué l’art de naviguer dans les torrents. Les maltraitances physiques et morales dont il a été victime étaient monnaie courante chez les Sempé.  Approche un peu, lui disait sa mère, que je te donne une gifle et le mur t'en donnera une autre. Mais il pardonne tout, trouvant des excuses à sa mère et à son père adoptif dont il porte le nom. Selon ses propres mots, ils ont fait ce qu’ils ont pu. Entre la honte d’avoir des parents qui se tapent dessus, un père alcoolique et une vie misérable, il fait tout son possible pour sauver les apparences. Il doit son salut à la radio et aux journaux qui lui permettent de s’échapper du réel. Ainsi, en tombant sur une collection de l’Illustration il se passionne pour l’affaire Dreyfus et se lève la nuit pour écouter des stations de Jazz. Finalement, les souvenirs heureux que Sempé n’a pas, il se les invente et il les dessine : Quand je me suis mis à dessiner, j’ai eu envie de dessiner des gens heureux.

L’interview aborde aussi son rapport aux femmes, dont il dit ne pouvoir se passer, ses débuts de dessinateur dans Sud Ouest, son arrivée à Paris, ses premiers albums. Le livre est bourré d’anecdotes attendrissantes, comme par exemple celle-ci : Un jour, un voisin m’a emmené dans un grand magasin à Bordeaux. Il m’a dit : Je t’offre ce que tu veux. J’aurais pu dire un vélo… J’ai dit des élastiques. Et j’ai eu une poche d’élastiques dont j’étais très, très, très fier… Je n’ai pas changé d’ailleurs. J’ai toujours besoin d’élastiques.

L’authenticité des propos de Sempé m’a beaucoup émue. Sans volonté de paraître, ni fioriture, j’ai ressenti toute sa fragilité, ses doutes et ses craintes. A 80 ans, cet immense artiste  hors de mode et reconnu bien au-delà de nos frontières, s’exprime avec fraîcheur et simplicité. En quelques traits, il nous raconte des histoires poétiques, mélancoliques ou nostalgiques, d’une tendresse infinie. Le sourire aux lèvres j’ai tourné les pages, regrettant de ne pouvoir, telle l’héroïne de Woody Allen dans La rose pourpre du Caire, entrer dans ce monde imaginaire où le rêve et l’insouciance ont la part belle. Pour la plupart, les dessins parlent d’eux-mêmes, mais parfois, une légende vient donner du sens. Par exemple : A la sortie d’une école, un groupe de dames affairées guettent leurs enfants. Un seul bambin sort la tête haute: Tous les autres sont punis, dit-il à sa mère. Ils s’éloignent, elle lui prend la main : Moi, je suis renvoyé, poursuit-il.

Voici un livre à lire et à feuilleter, à découvrir et à redécouvrir sans fin. J’y déniche toujours un détail nouveau qui m’avait échappé les fois précédentes. Avec Sempé c’est un peu Noël tous les jours…

Vagabondage : En parcourant ce livre, je me suis soudain remémorée le personnage d’Osvaldo Cavandoli qui passait dans L’île aux enfantsLa linea ! Vous en souvenez-vous ? Ce petit bonhomme grommelant qui marchait sur une ligne et dont les aventures se succédaient au gré de la main du dessinateur. Celui-ci s’amusait à lui mettre des obstacles sur sa route ou à le sauver des situations les plus périlleuses ! En quelques coups de crayons, Cavandoli réussissait à rendre son personnage, tantôt jovial, tantôt furieux, et toujours exigeant avec la main créatrice !
En plus j’adore la musique du générique !




« Enfances », de Sempé. Entretien avec Marc Lecarpentier, éd. Denoël coédition Martine Gossieaux, 272 p., 42 €.

9 commentaires:

  1. après avoir lu ton très beau papier, je me dis que tu attaque l'année 2012 en beauté ! j
    'ai beaucoup aimée ton texte, j'aime beaucoup Sempé aussi, et ça me donne envie de découvrir cet album.
    quand au vagabondage, tu m'as fait faire un bon dans mon enfance, quand je regardais l'le aux enfants et je me souviens très bien de ce personnage grommelant dans un charabia incompréhensible qui me plaisait tant !!

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  2. Un magnifique sujet pour commencer l'année ! Les dessins de Sempé sont si touchants, poétiques et plein d'un humour tendre qui les rend intemporels. On peut dire que le Père Noël t'a drôlement gâtée !

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  3. @Sabine : figure toi qu'il paraîtrait que ce charabia est fortement inspiré de l'italien..je compte donc sur toi pour m'en dire plus:-)
    @Maxime : c'est vrai que le Père Noël m'a à la bonne...en même temps, j'ai été particulièrement sage cette année!

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  4. oui c'est vrai et en écoutant bien on reconnait quelques mots d'italien ! tu sais en le regardant à nouveau il m'a fait penser à De Funès dans ses mimiques et ses colères ! que de souvenirs en tout cas ..

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  5. @Sabine : oui c'est vrai, tu as tout à fait raison pour la ressemblance avec De Funès!!! C'est drôle!

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  6. Apres quelques absences....Je renoue avec l'excellence de ta prose Misty,bonheur :-)
    J'ai lu Sempe petite,le petit Nicolas,et malgré la richesse humoristique, un fond de tristesse transparaît dans ce petit bonhomme,je comprends pourquoi désormais !
    Un livre de plus a découvrir dans ma mistytheque
    Un grand Merci Madonne du blog littéraire ;-)

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  7. Contente de te retrouver Leeloo :-) Et oui, tu vois tout s'explique...
    J'adoooooore le concept de la mistythèque! Si ça continue je vais t'engager pour mes RP !:-)

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  8. Bonsoir Misty, Me revoilà après une longue absence. Il ne faut accuser que mes mes maux divers et variés. C'est l'hiver que veux tu ! cachets et goutte au nez. Mais, entre deux rages de dents, j'ai lu le délicieux livre de ton ami Sempé. Une pure merveille ! drôle, émouvant, un bol de fraîcheur et une ôdeur d'enfance qui vous prend le coeur. j'ai eu quelquefois la larme à l'oeil. Chacun et chacune d'entre nous peut se retrouver au détour d'une page. tes commentaires sont toujours excellents; merci petite fée. Libellule

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    1. Quel plaisir de te revoir ici Libellule ! J'étais bien certaine que ce livre te plairait et comme toi j'ai eu quelques fois la larme à l'oeil. Peut être sommes nous un peu trop émotives! J'aurais bien aimé que tu puisse voir l'expo avec moi!

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