Ceux qui sont prêts à sacrifier leur
liberté pour un peu plus de sécurité ne méritent ni l’un ni l’autre. Cette citation de Benjamin Franklin trouve tout son
sens dans le dernier livre de Claude Angeli et Stéphanie Mesnier.
Dans Les micros du Canard, les
auteurs retracent l’histoire passionnante des écoutes dont le célèbre volatile
a failli être victime, à la fin de l’année 1973.
Un soir de décembre, le
dessinateur du Canard enchaîné André Escaro, regagne son domicile à pied en
passant devant le 173 de la rue Saint Honoré, là où se trouvent les nouveaux
bureaux, encore en travaux, de l’hebdomadaire. La lumière, à cette heure tardive,
attire son attention. Décidant d’en avoir le cœur net, il se présente à la
porte. Très embarrassé, l’homme qui lui ouvre justifie sa présence par l’’installation
du chauffage. Mais le mensonge est un peu trop gros pour André Escaro, qui sait
bien que tout est réglé depuis plusieurs semaines. Les soi-disant plombiers s’apprêtent
en réalité à planquer des micros dans le bureau du directeur, Roger Fressoz, et
de toute la rédaction ! Mais qui en est l’instigateur ? Et
pourquoi ?
Claude Angeli, alors jeune journaliste au Canard
enchaîné, et dont la ténacité et la perspicacité ne sont déjà plus à prouver,
va entreprendre une enquête éclair qui le mènera à révéler très rapidement que
les faux plombiers sont en fait des agents de la DST, le service de
contre-espionnage français. Il
livre même quelques noms. Mais qui a donné les ordres ?
A l’époque, le Président Georges
Pompidou a choisi Raymond Marcellin comme Ministre de l’intérieur. Entre paranoïa et
dérive sécuritaire, ce dernier a l’hebdomadaire satirique dans sa ligne de mire.
Il faut dire que, chaque semaine, le
palmipède noircit ses colonnes de son lot de révélations : le financement
du parti Gaulliste, le Service d’Action Civique (SAC), les scandales dans le
monde de l’immobilier et de l’urbanisme, la feuille d’impôt de Chaban,
Château-Chirac ….Au Canard, sous l’impulsion d’Angeli, c’est le début du
journalisme d’investigation.
Les ministres brûlent de découvrir
qui sont les informateurs. Un seul moyen : mettre les
bureaux du journal sur écoutes !
C’est l’histoire captivante de cette « watergaffe »,
pour reprendre la Une du Canard de l’époque, que nous relatent les auteurs. L’écriture est sans faille. Il faut dire que
Claude Angeli et Stéphanie Mesnier n’en sont pas à leur coup d’essai, et ils
commettent ici leur septième récidive ! Mais j’ai trouvé ce dernier livre
encore plus abouti que les précédents. Construit comme un roman policier, ce
livre nous tient en haleine ! De rebondissement en rebondissement, de
surprise en surprise, le rythme ne faiblit pas. Le duo Claude Angeli, rédacteur
en chef du Canard enchaîné pendant plus de trente ans, et Stéphanie Mesnier,
journaliste et romancière, fonctionne à merveille. L’on apprend mille et une
choses au fil des pages. C’est drôle, rocambolesque, et lorsque l’on sait que
tout est vrai, ça donne à réfléchir !
Le travail d’archives, les souvenirs d’Angeli qui
nous confie les dessous de son enquête, et la mise en abyme de l’affaire, permettent de nous replonger dans cette atmosphère très particulière d’après Mai 68. Nous sommes en pleine guerre froide et de l’autre
côté de l’Atlantique le Watergate (qui donnera lieu à ce très bon film de Allan
J. Pakula « Les Hommes du Président » avec le beau Robert Redford !)
fait des ravages. Le gouvernement est saisi de paranoïa et accuse le Canard de
faire du « terrorisme journalistique ». L’affaire des micros va
susciter un grand émoi dans l’opinion, mais aussi dans la classe journalistique
et politique.
Cette affaire ancienne fait écho à des questions
d’actualités.
La pratique des écoutes
n’a pas faibli après ce scandale. Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy… Ils
se sont tous insurgés lorsqu’ils en étaient victimes mais à peine installés au
pouvoir, ils ont été les premiers à enfiler leurs oreillettes !
Du scandale des écoutes de
la NSA à « l’affaire Paul Bismuth », on voit bien que cette manie d’espionner
son prochain a de beaux jours devant elle. Enfin la loi de programmation militaire votée
par l’actuel gouvernement élargit le périmètre
et les motifs des écoutes, tout en restreignant la liberté de la presse !
Bref les années passent
mais les méthodes ne changent pas. L’aphorisme d’Oscar Wilde est plus que
jamais vérifié : Le seul moyen de se
délivrer d’une tentation c’est d’y céder.
Les Micros de Canard, à lire pour le plaisir mais
aussi pour rester vigilant !
Les Micros du Canard, de Claude Angeli et Stéphanie
Mesnier. Paru aux éditions les Arènes en avril 2014. 18 euros.
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