dimanche 5 février 2012

Exhibitions : l’invention du sauvage

A travers cette exposition, j’aimerais que les gens puissent prendre conscience que le racisme est avant tout une construction intellectuelle….Nous devons avoir le courage de nous interroger sur nos propres préjugés et voir comment on peut améliorer les choses.
C’est ainsi que Lilian Thuram, le commissaire général de l’exposition « Exhibitions » qui se tient actuellement au musée du Quai Branly, définit l’esprit de cet événement. Noble ambition quoique peut-être un peu vaste car je n’y ai pas trouvé toutes les réponses à mes questions. Certes, j’y suis allée après une journée de travail chargée et mon attention n’était peut être pas à son meilleur niveau. Mais le nombre d’informations délivrées est tel que cela m’a empêchée d’apprécier tout le contenu de la visite à sa juste valeur, ne sachant plus où donner de la tête.


Six cents œuvres sont exposées. Belles affiches, photos racoleuses et vidéos éloquentes, nous mettent face à l’Autre et à ses différences. Cinq siècles défilent sous nos yeux, durant lesquels les occidentaux qui se pensaient supérieurs ont exhibé hommes, femmes et enfants, tels des étrangetés, des anomalies de la nature, des monstres parfois, dans des cirques ou des zoos humains.

La présentation de specimen vivants commence dès le XVé siècle quand les grands navigateurs (C.Colomb, H.Cortes) rapportent de leurs expéditions des autochtones qu’ils offrent à leurs rois en guise de cadeaux. A cette époque un aristocrate digne de son rang se doit de posséder « son » Sauvage s’il veut afficher sa domination. Mais c’est surtout la fascination pour l’étrange et le différent qui prédomine. Ces individus exotiques, venus de contrées jusqu’alors inconnues, émerveillent. Peintures et gravures en témoignent. Ainsi l’on peut voir des représentations d’Omai le bon sauvage, jeune et superbe Tahitien ramené par James Cook lors de l’un de ses voyages. Il deviendra le chouchou de l’Angleterre, sera présenté au couple Royal, dînera dans la haute société et servira de modèle aux plus grands artistes avant de retourner dans son pays en 1776.

Après le Cabinet de curiosité, vient le siècle des Lumières, où la fascination cède la place à l’analyse scientifique. L’homme noir est considéré comme le chaînon manquant entre l’homme et le singe. Le céphalomètre, machine à mesurer les crânes en vue d’une classification et d’une hiérarchisation de l’espèce humaine renforce cette thèse. Naturellement les noirs se retrouvent tout en bas de l’échelle…

Au début du XIXé siècle la Vénus Hotentotte, sonne l’ère de l’exhibition-spectacle. Cette femme aux fesses hypertrophiées est ramenée d’Afrique du Sud pour être exposée à Paris et à Londres. A sa mort son corps est autopsié et un moulage en est fait afin de pouvoir l’étudier. Elle n’a pas été la seule à faire les frais de ce voyeurisme, loin s’en faut. L’exotisme fait bon ménage avec les monstres de foires. Les sauvages côtoient sur des estrades ou dans des cages, la Femme à barbe ou les frères siamois Chang et Eng entre autres étrangetés de la nature. Ils y sont montrés du doigt et voilà bien le geste qui fait d’eux des monstres. Entre 1810 et la seconde guerre mondial plus de un milliard quatre cent millions de visiteurs se pressent dans ces Freak shows ! A travers ces spectacles, c’est la notion de races, et en particulier de « races inférieures », qui se popularise.

Je suis passée assez rapidement sur le reste de l’exposition, assaillie par le nombre d’informations délivrées. J’ai donc un peu négligé les aborigènes, les femmes à plateaux, les amazones, les funambules japonais, et même le personnage mythique de Buffalo Bill qui présente son fameux show autour des Amérindien.
Fatiguée, je ne me suis pas attardée sur les expositions coloniales et universelles dans lesquelles science et spectacle s’entremêlent et qui auraient mérité sans doute d’avantage d’attention.

Le parcours s’achève avec la fin des exhibitions vers les années 1930.

Vous l’aurez compris, cette visite m’a laissée une impression plutôt mitigée. Paradoxalement trop riche, je suis restée sur ma faim car elle manquait de contextualisation. J’aurais aimé par exemple connaître les arguments scientifiques ou religieux (autres que le céphalomètre) propres à entériner le principe de race aux différentes époques.
Cependant j’ai apprécié que chacun d’entre nous entre dans la peau d’un voyeur, prouvant ainsi que ce titre n’est pas réservé qu’aux sots et aux incultes. Imaginez-vous dans un immense barnum, où durant une bonne heure vous scrutez, observez, détaillez... Souvent, je me suis sentie mal à l’aise et révoltée, mais j’ai regardé, et parfois j’ai même ricané d’un petit air gêné devant telle photo ou telle affiche nous montrant un individu hors du commun. N’oublions pas que, jusqu'aux années 2000, on trouvait encore des lieux d'exhibition. Par exemple près de Nantes le "Village Bamboula", sponsorisé par un fabricant de biscuits au chocolat, proposait aux visiteurs un "village africain authentique" où vingt Ivoiriens (payés au tarif d'Abidjan !) dansaient en tenues traditionnelles au milieu d'animaux africains.
Un sondage récent révèle que 55% des Français croient encore aux races et, par exemple, que la couleur de peau détermine qualités et défauts d'une personne.


Cette exposition a le mérite de nous faire réfléchir sur la différence, sur notre conception de l’autre et la place de chacun au sein de la société. Je vous recommande pour faire cette visite dans de bonnes conditions d’y aller en journée, accompagné d’un guide qui vous apportera des informations essentielles à la compréhension.


Vagabondage : On regarde les « autres » comme des animaux curieux, mais parfois des liens se tissent, comme ceux qu’a noués la photographe Gertrude Käsebier avec les Indiens du spectacle de Buffalo Bill. Les portraits qu’elle en a fait sont magnifiques et d’une grande humanité.











Exhibitions : l'invention du sauvage. Jusqu'au 3 juin 2012 au musée du Quai Branly. Plein tarif : 10,10 Euros

7 commentaires:

  1. Merci Chere Misty de cette visite guidee avant l'heure.
    Je profite de l'occasion pour recommander a tes lecteurs la lecture ou relecture
    Avant d'aller voir l'expo du livre de Claude Levi-Strauss, "Race et Histoire".
    A bientot
    Bp

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    1. Merci pour ta recommandation de lecture Bp:-)Je ne l'ai pas lu mais je le mets sur ma liste!

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  2. C'est drôle je parlais de cette expo juste avant de voir ton article ;-)
    Oui allons tous réfléchir aux sources du racisme et du poids des siècles sur une vision du monde, surtout à l'heure où certains pensent que l'on peut classer des civilisations ...
    Que vive notre remise en question permanente qui nous permet d'aller plus loin
    Les temps sont durs ....
    Kate

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    1. Tu as raison Kate, l'expo prend toute sa dimension en ce moment.....

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  3. J'ai été très émue en lisant ton commentaire sur cette exposition que j'aurais bien aimé visiter. J'en ai souvent entendu parler à la radio notamment sur france Inter, dans l'excellente émission de Daniel Mermet, l'après-midi. Que ceux qui croient à l'égalité des "races" et à la fraternité humaine s'engagent à tous moments, à combattre cette énorme bêtise qu'est le racisme. Que de morts imbéciles à mettre en son nom. Pour s'encourager répétons-nous les beaux vers d'Aragon : "un jour viendra, un jour viendra couleur d'orange ..." Bisous
    Libellule

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    1. Chère Libellule, je te reconnais bien là à citer Aragon en ces périodes tumultueuses. Attendons donc ce jour ensemble!

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  4. Elle est rouge, cette Libellule !

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