vendredi 27 juillet 2012

Les derniers jours de Stefan Zweig (Sorel et Seksik)



Quelle superbe BD je viens de lire ! J’en suis encore toute émue. Pour l’inconditionnelle admiratrice de Stefan Zweig que je suis, cet ouvrage est un coup de maître et apporte un éclairage tout en subtilité sur les derniers mois de la vie de cet auteur magnifique.

Stefan Zweig, grand humaniste et immense écrivain ne trouve pas sa place dans le monde décadent des années 40. Pourtant reconnu de tous pour son talent littéraire, son analyse de la société et sa connaissance aiguë du genre humain, Zweig est sans cesse obligé de fuir. Il fuit les nazis, qui brûlent ses livres, et quitte l’Autriche pour l’Angleterre, en 1931. Considéré à tort comme un Allemand, il s’expatrie ensuite aux Etats-Unis, mais ne parviendra jamais à obtenir un visa définitif. Il s’embarque alors pour le Brésil, sa dernière escale, avec Lotte Altmann, sa seconde épouse de trente ans sa cadette. Suite à la parution de son livre Brésil terre d’avenir, il y est accueilli de manière plutôt mitigée, accusé d’avoir passé sous silence la situation politique tendue de ce pays.

Tirée du roman éponyme de Seksik sorti en 2010, Les derniers jours de Stefan Zweig  raconte les 6 mois qui précédent le suicide de l'écrivain installé à Petropolis . On y découvre un homme conscient du monde qui sombre, tourmenté, désespéré même, nostalgique d’un temps à jamais détruit et de ses amis perdus, Freud, Thomas Mann, Klimt… Seksik lui prête ces paroles lorsqu’il évoque Le monde d’hier, son autobiographie qu’il tente d’achever: Je n’ai jamais attaché à ma personne assez d’importance pour raconter aux autres l’histoire de ma vie. Mais en ma qualité d’Autrichien, de juif, d’écrivain, d’humaniste et de pacifiste, j’ai voulu témoigner pour une génération qui a connu plus de tragédies que nulle autre, ressusciter les disparus.
Lotte s’acharne à lui redonner le goût de vivre, mais en vain. Zweig s’enferme dans son chagrin, convaincu que l’humanité court au désastre. Il parvient même à entraîner Lotte vers ce qui lui semble la seule issue : le suicide.


Le récit de ce dernier épisode de la vie de l’auteur est poignant et superbement illustré par les aquarelles de Guillaume Sorel.
Spleen, mélancolie, retour vers le passé, langueur du présent, ce sont le couleurs qui composent cet album bleu et ocre. La force des dessins alliés à un texte d’une grande sensibilité va jusqu’à nous toucher le cœur. Le dessinateur nous fait partager des petits moments de l’intimité du couple, entre espoir et inquiétude, nous rendant spectateur impuissant d’une tragédie annoncée.
On peut toutefois se poser la question de la raison du suicide de Zweig. Pourquoi cet homme reconnu de tous, riche, nullement menacé  et qui aurait pu tranquillement attendre des jours meilleurs, a-t-il choisi cette fin tragique ? Et surtout, pourquoi  a-t-il  convaincu sa femme de le suivre dans ce dernier voyage ? Pour Seksik, c’est son manque de foi en l’homme qui l’aurait poussé à tirer un trait sur sa vie. Il s’appuie pour cela sur la lettre laissée par Zweig lors de son suicide, dont voici les dernières lignes : Je salue tous mes amis. Puissent-ils voir l’aurore après la longue nuit. Moi je suis trop impatient, les précède.


Vagabondage :
Quelques livres de Zweig que j’adore et que je vous recommande chaudement s’ils ne font pas déjà partie de votre bibliothèque :

La confusion des sentiments : C’est le livre qui m’a permis de découvrir Zweig. Un roman formidable, plein d’émotions qui parle d’une relation faite de soumission et d’admiration entre un jeune étudiant et son maître. Freud a salué la finesse et la vérité avec laquelle l'auteur restituait le trouble d'une passion et le malaise qu'elle engendre chez celui qui en est l'objet.

Lettre d’une inconnue : une nouvelle déchirante qui me tire les larmes à chaque fois que je la relis. Un écrivain reçoit la lettre d'une femme qui l'a aimé toute sa vie en silence  et n'a vécu que par lui, alors qu'il ne se rendait compte de rien.

Le joueur d’échecs : La dernière nouvelle écrite par Zweig  et parue en1943 à titre posthume. C’est l’histoire d’un prisonnier de guerre, enfermé dans une cellule totalement vide. Il réussit à subtiliser un manuel d’échecs et apprend à jouer mentalement jusqu’à devenir monomaniaque. Un chef d’œuvre de psychologie.

Amok : Une nouvelle poignante, dont Romain Rolland  a dit : Les oeuvres de Stefan Zweig comptent parmi les plus lucides tragédies modernes de l'éternelle humanité. Amok est de celles-là, avec son odeur de fièvre, de sang, de passion et de délire malais... Amok est l'enfer de la passion au fond duquel se tord, brûlé mais éclairé par les flammes de l'abîme, l'être essentiel, la vie cachée.

Tous ces romans et nouvelles sont édités en Livre de poche au prix moyen de 5 euros.

Les dernièrs jours de Stefan Zweig, de Laurent Seksik et Guillaume Sorel. Paru en février 2012 aux éditions Casterman. 16 euros.

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