
Le docteur Kurt
Kraussman vit une existence parfaite à Frankfurt. Entre une belle maison,
de l’argent et une épouse qu’il aime plus que tout, la vie lui sourit, jusqu’au
jour où son univers bascule. Sa femme met fin à ses jours et Kurt devient
l’ombre de lui-même. Il décide alors d’accompagner son ami Hans, un riche
industriel qui se consacre à l’humanitaire, pour équiper un hôpital aux
Comores. Mais, au large de la Somalie, leur voilier est arraisonné par des
pirates. Les deux amis sont capturés et c’est le début d’une descente aux
enfers terrifiante.
J’ai été totalement
captivée par ce récit, me demandant à chaque ligne ce qu’il allait advenir de
Kurt et de son compagnon. Yasmina Khadra nous immerge dans une Afrique violente,
fragile, riche, pauvre, abandonnée, corrompue, mais attachante et humaine.
J’ai tourné les pages la boule au ventre et le cœur battant
au rythme du continent noir, de ses peurs, de ses espoirs et de ses
contradictions. Si dans la première partie, c’est le visage cruel et brutal de
l’Afrique que Kurt découvre de plein fouet, dans la 2nde partie du
roman, grâce à Bruno, un compagnon d’infortune français vivant en Afrique
depuis quarante ans, Kurt commencera à percevoir une autre facette, où chaque minute vécue est
un miracle et où l’espoir est le moteur de la vie. Cela donne lieu à de superbes
passages dans lesquels chacun défend son point de vue :
C'est un
être splendide, l'Africain. Qu'il soit assis sur le seuil de sa case, ou sous
un caroubier, ou sur la berge d'une rivière infestée de crocodiles, il est d'abord
en lui. Son coeur est son royaume. Personne au monde ne sait mieux que lui
partager et pardonner. Si je devais mettre un visage sur la générosité, ce
serait le visage d'un africain. Si je devais mettre un éclat sur la fraternité,
il aurait celui d'un rire africain." (Bruno à Kurt, page 234)
Je ne
connais pas mieux que vous l’Afrique, mais ce que je constate de visu est sans
appel…C’est par la protestation que l’on se réclame de l’espoir. Et ces gens ne
protestent pas. Ils fuient quand il est question de résister. Ils ramassent en
catastrophe leurs gosses et leurs balluchons et déguerpissent à
l’aveuglette….vous voulez que je vous dise ? Ces gens ne vivent pas, ils
existent et c’est tout. (Kurt à Bruno, page 235)
Le point de vue de Kurt va irréversiblement se transformer
et changer sa vie à jamais. En découvrant l’autre il se découvre lui-même.
On ne ressort pas
indemne de ce voyage dans lequel Yasmina Khadra nous plonge. L’auteur algérien, d’une
extraordinaire humanité, nous fait partager et ressentir de manière magistrale tous
les sentiments de Kurt entre doutes, capitulation et interrogations. Ce livre est une peinture de l’Afrique, aux
couleurs vives et contrastées, ponctuées d’éclaboussures qui viennent tâcher le
dessin initial, mais c’est aussi un roman d’aventure et une œuvre de réflexion.
Combien de fois ai-je regardé le JT de 20h relatant comme de simple faits
divers une énième prise d’otage, un attentat de plus, la famine, les exodes, …image
oubliées l’instant d’après et remplacées par d’autres plus acceptables. Comme
si la misère quotidienne des africains était moins importante que les 42 morts aux
Etats-Unis suite au passage de l’ouragan Sandy.
Dans le chahut
planétaire, nous ne savons plus où donner de la tête. C’est là que devraient
intervenir les écrivains et les philosophes, pour aller plus loin que les
reportages médiatiques afin d’assainir les esprits des traumatismes subis et de
leur faire recouvrer un minimum de lucidité. (Yasmina Khadra)
En résumé, je vous
recommande chaudement ce livre qui ne pourra pas vous laisser indifférent et je
ne peux résister à vous faire part des vers rédempteurs clôturant ce roman :
Vis chaque matin comme
s’il était le premier
Et laisse au passé ses remords et méfaits
Vis chaque soir comme s’il était le dernier
Car nul ne sait de quoi demain sera fait.
Et laisse au passé ses remords et méfaits
Vis chaque soir comme s’il était le dernier
Car nul ne sait de quoi demain sera fait.
Vagabondage : Les citations africaines sont,
je trouve, très révélatrices de l’état d’esprit de ce continent. Je vous en
livre quelques unes à méditer pendant les longues soirées d’hiver qui s’annoncent.
Si tu as de nombreuses richesses donne ton bien ; si
tu possèdes peu donne ton cœur (proverbe berbère)
Ne te lasse pas de crier ta joie d’être en vie et tu
n’entendras plus d’autres cris (proverbe touareg)
Dieu ne fait qu’ébaucher l’homme, c’est sur terre que chacun
se crée (proverbe bamikele)
Un vieillard qui meurt, c’est comme une bibliothèque qui
brûle (proverbe africain)
Au chef il faut des hommes, et aux hommes il faut un chef (proverbe
africain)
Les marques du fouet disparaissent, les traces d’injure
jamais (proverbe africain)
L’eau chaude n’oublie pas qu’elle a été froide (proverbe
haoussa)
L'équation africaine de Yasmina Khadra, aux éditions pocket. 7,20 euros
J'ai hésité pour les mêmes raisons que toi, avant que tu le lises donc, car ce livre m'a semblé "brut", sur la corde, avec donc une nécessité à être au "top" pour profiter de la prose de khadra.
RépondreSupprimerMe fais penser à l'attentat avec une femme qui met fin à ces jours et bouleverse la vie de son mari..
Tu vas peut être me faire changer d'avis !
Merci pour les proverbes, un voyage africain à domicile :-)
Effectivement il vaut mieux être bien dans sa tête pour lire ce livre mais il est vraiment formidable. Lis le vite et dis moi ce que tu en as pensé Leeloo !
RépondreSupprimerOui mais 2 en cours, alors on s'en reparle d'ici un petit moment ;-)
SupprimerMa chère Mitsy, ta critique reflète exactement mes pensées. Moi aussi j'ai lu ce livre la boule au ventre, mais quelle découverte ! Quelle richesse de sentiments est exprimée dans ce texte. Ca m'a enrichi du même coup. Merci de cette critique si bien écrite. ainsi que pour le vagabondage. ... à bientôt sur la toile. Libellule
RépondreSupprimerMerci Libellule, je suis heureuse que nous partagions le même point de vue, sur tous les romans de Yasmina Khadra :-)
SupprimerA nouveau une belle critique qui donne envie de courir chez son libraire, acheter le livre et le dévorer ! j'avoue ne pas connaitre du tout l'auteure et j'ai la sensation après t'avoir lu, que je suis passée à coté
RépondreSupprimermerci aussi pour les proverbes, j'aime particulièrement celle du vieillard et de la bibliothèque..
Oh oui Sabine, il faut absolument que tu lises cet auteur. Si tu ne connais pas, commence par "l'Attentat", c'est formidable !
SupprimerMoi qui n'accroche pas aux livres de Yasmina Khadra (je ne sais pas il a un style qui me fatigue) et bien en lisant ton article, j'ai très envie de lire ce roman !! Alors Bravo !!!!
RépondreSupprimerKate
Alors là, je suis contente de t'avoir donné envie de le découvrir. N'hésite pas à revenir ici même pour me dire ce que tu en as pensé :-)
SupprimerEt bien voila, je l'ai lu. Ce roman m'a bouleversé par sa justesse, tant au niveau des personnages, que des ambiances, de l'histoire. Je me suis trouvée embarquée dans l'aventure africaine de ce docteur qui croit avoir tout perdu et qui finalement est aspiré par l'Afrique et renait africain de coeur.
RépondreSupprimerLes échanges de point de vue, très radicaux de part et d'autre ne laissent pas indifférents, ces confrontations permettent juste, de regarder les événements sous un autre angle, avec humilité et tolérance.
Khadra a cette force de t'impliquer à 100% dans l'histoire tout en te faisant prendre le recul nécessaire, murir tes pensées. C'est effectivement un des meilleurs que j'ai lu de cet auteur.
Merci de m'avoir poussée à la decouverte ;-)
Leeloo, je suis râvie de t'avoir encouragé à lire ce livre. Nous avons bien la même opinion sur le sujet. Véritable coup de poing que ce livre de Khadra et tu en parles très bien. Vivement le prochaine :-)
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