dimanche 8 décembre 2013

LES ANGES MEURENT DE NOS BLESSURES (YASMINA KHADRA)


Gros coup de coeur pour le dernier roman de Yasmina Khadra, Les anges meurent de nos blessures. Celles et ceux qui ont envie d’un peu de légèreté avant les fêtes de fin d’année, passez votre chemin (mais ne vous privez pas de cette lecture après le premier janvier). Les autres, courrez chez votre libraire et dévorez ce livre, comme je l’ai fait, sans modération.
Nous sommes en Algérie dans les années 20. Les colons français, qui sont installés depuis l'invasion du pays par les troupes de Charles X en 1830, n’octroient que des droits très limités aux Algériens. Ils considèrent ces derniers comme des sous-hommes, des bêtes juste bonnes à faire les basses besognes. Les violences et les persécutions sont quotidiennes. C’est dans cette atmosphère que grandit Turambo (contraction d’Arthur Rimbaud), jeune garçon élevé par sa mère et son oncle. Il tente de se faire une place dans ce monde qui ne veut pas de lui, mais de boulots minables en boulots minables, de vexations en maltraitances, la vie ne semble pas lui sourire. Pourtant, un jour, suite à une rixe provoquée par une énième humiliation, il se fait remarquer par De Stefano, un entraineur de boxe à la recherche du futur champion d’Afrique du Nord. Commence alors un changement de vie radical pour le jeune homme. Les entraînements et les combats s’enchaînent, les succès aussi. Mais à quel prix ? Turambo parviendra-t-il à trouver sa place dans ce monde régit par l’argent, le mépris, la triche et l’hypocrisie ? Le vernis ne fait rien à l’affaire, il brille mais il s’écaille.

Dés les premières pages, Yasmina Khadra donne le ton. Le livre promet d’être d’une noirceur extrême. Si l’on connaît le dénouement, cela ne nous empêche pas de vibrer au rythme des aventures du héros. Bien au contraire, cela donne une dimension encore plus dramatique au livre. Turambo est fait comme un rat et malgré tous ses efforts, son destin est inéluctablement scellé.
Yasmina Khadra décrit une Algérie d’entre deux guerres où le colons sont sans pitié, d’une violence extrême dans les mots et dans les gestes. J’ai souvent été révoltée, écoeurée et triste de lire une telle déchéance de l’âme humaine. Bien sûr, ça n’est pas une révélation mais cet écrivain a le don de nous faire ressentir au centuple ce que bien souvent l’on ne fait qu’effleurer : la cruauté des uns et la souffrance des autres.
Son écriture est comme d’habitude poignante, d’une justesse et d’une force qui font de lui l’un des plus grands auteurs contemporains. Extraits :

Le mortel n’a qu’un seul domicile fixe : la tombe. Vivant, rien n’est jamais acquis pour lui, ni maison ni patrie.

Hélas, aucun « si » n’a d’issue ; pour preuve, il arrive toujours trop tard.

Le rêve est le tuteur du pauvre et son pourfendeur.

On ne se bat pas contre les journalistes. Ils auront toujours le dernier mot puisque le dernier mot c’est eux.

Noir, sombre, lourd, ce livre est aussi un formidable hymne à l’espoir.
Il y a toujours une vie après l’échec, la mort seule est définitive.

Il n’y a qu’un seul choix qui compte : celui de faire ce qui nous tient à cœur. Tous les autres ne sont que défections.

Malgré toutes les embuches que rencontrent Turambo, jusqu’au bout, il voudra rester maître de son destin. Certes il ne sait pas lire, mais il s’exprime avec son cœur. D’ailleurs le livre est composé de quatre parties, chacune d’entre elles étant consacrée à une femme que le jeune homme a aimée et qui le fera grandir jusqu'à devenir un homme. Inutile de savoir cogner pour cela.

Ames sensibles abstenez-vous. J’ai souvent eu la boule au ventre, et les larmes aux yeux. Yasmina Khadra nous parle d’une période de notre histoire dont nous ne sommes pas fiers; pire, qui est méconnue pour beaucoup d’entre nous. Il ne s'agit pas de s’auto-flageller pour des actes et décisions  dont notre génération n’est pas responsable. Il est seulement question de mieux comprendre notre société car les séquelles sont toujours présentes et expliquent sans doute bien des comportements.

Vagabondage :
Connaissez vous Reza ? J’ai découvert ce photographe d'origine iranienne de manière tout à fait hasardeuse en surfant sur la toile. En réalité je connaissais quelques unes de ses photos mais sans savoir qu'il en était l'auteur.
On sent à travers ses clichés une telle humanité que cela ne me surprend pas qu’à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie en 2012, Yasmina Khadra se soit associé à lui pour publier un livre hommage à son pays. En attendant de le trouver peut-être sous le sapin, je vous laisse aller apprécier le travail remarquable de ce photographe ici.


Les anges meurent de nos blessures, de Yasmina Khadra, paru aux éditions Julliard en août 20133
21€, ou 15,99€ sur Kindle chez Amazon.fr




2 commentaires:

  1. Très belle critique qui donne envie de lire ce livre et pour ma part de découvrir l'auteur.. et surtout gros coup de coeur pour Reza, ses photos m'ont touchées, merci pour cette belle découverte

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  2. Merci Sabine! Je te conseille l'Attentat du même auteur, c'est un livre formidable!

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