dimanche 20 mai 2012

Margin call (JC Chandor)


Le début sonne comme un petit air de 1984 de George Orwell : à titre individuel vous n’êtes rien et le jour où le régime n’a plus besoin de vous il vous fait tout simplement disparaître en effaçant votre identité. C’est ce qui se passe pour Eric Dale (interprété par l’excellent Stanley Stucci), analyste sénior au sein d’une banque d’investissement, dans laquelle il officie depuis 20 ans. Congédié en 5 minutes chrono, on lui demande de faire ses cartons à l’instar de quatre vingt pour cent de ses collègues. Téléphone portable résilié, accès aux mails supprimé, en quelques instants, il n’existe plus. Sam (Kevin Spacey), le patron, se lance alors sans une trace d’émotion dans un discours auprès des trente quatre « survivants », leur demandant d’oublier les noms des malchanceux et de se concentrer sur l’avenir : Show must go on ! Avant de prendre l’ascenseur qui le conduit vers la sortie, Eric a tout juste le temps de remettre à un jeune trader de son équipe, Peter Sullivan, une clé sur laquelle figure une analyse explosive de la situation financière de l’entreprise. Il ne faut pas longtemps à Peter pour s’apercevoir du désastre qui est entrain de s’opérer : depuis quelques jours, les actions de la société ne valent plus un sou. Pendant une nuit, la plus longue de leur vie, les dirigeants de la société vont devoir se mettre d’accord sur une décision lourde de conséquences pour sauver leur peau.

Pour son premier long métrage JC Chandor a frappé juste avec un sujet palpitant et un casting alléchant. Et bien que je n’entende pas grand-chose aux subtilités boursières ni à l’univers de la finance, j’ai trouvé ce film limpide et passionnant.
Des traders, jeunes surdoués de la finance qui surfent sur la chance, aux grands pontes impitoyables et dénués de tout scrupule en passant par les patrons qui doivent quelques fois rendre des comptes, le film souligne le dédain de ces hommes pour les gens du peuple concernés au premier chef quand les cordons de la bourse se rompent. La scène de l’ascenseur où Demi Moore et Simon Baker discutent de la crise en ignorant totalement la femme de ménage qui se trouve entre eux est en cela révélatrice.

On touche l’intimité de ces chefs d’orchestre de la Bourse, déconnectés de la réalité, qui manipulent chaque jour des millions et comprennent soudain qu’une mauvaise projection ou une erreur d’interprétation peut avoir des conséquences dramatiques pour eux et pour le monde. Cela m’a un peu fait penser au début de La haine, le film de Kassovitz, lorsque tout du long de sa chute du cinquantième étage, le héros se répète : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien.
Une autre chose m’a choquée : le manque d’expertise des dirigeants de la société qui ont besoin qu’on leur « traduise » les chiffres qui leurs sont présentés. On en vient à se demander comment ils sont arrivés à de tels postes. Car c’est entre leurs mains que se joue l’avenir du système financier, et par voie de conséquences, celui de millions de petits épargnants.
Ces « maîtres de l’Univers » m’on fait penser à des funambules, entre chance et concentration.

Le scénario est servi par une pléiade d’acteurs magistraux. Kevin Spacey en bras droit de la société, plus ému par la mort de son chien que par les licenciements qu’il vient d’ordonner, nous révolte par son manque de scrupule et de remord.
Le personnage de Jeremy Irons, apparemment inspiré de Richard S. Fuld, ex-patron de Lehman Brothers, est tout entier à sa devise : Dans notre métier, il faut être le premier, le meilleur, ou tricher. On comprend mieux comment l’apocalypse financière de 2009 a pu avoir lieu avec une telle philosophie.
Quant au jeune trader, interprété par Zachary Quinto, il est éloquent. Ingénieur de formation, il a choisi de travailler dans une société financière pour gagner plus, sans voir plus loin.
Et puis, il y a aussi Demi Moore, excellente dans le rôle de celle que l’on sacrifie sur l’autel du Dieu finance, car il faut toujours un coupable.


On aimerait que tout cela ne soit qu’une caricature mais, Margin Call nous rend compte de manière factuelle d’une situation cruelle et bien réelle. En soulignant les failles du système capitalisme et la folie de l’époque, ce film, pour le moins efficace, donne matière à réflexion. Est-ce que les choses ont changé ? Est-ce que l’éthique dans les affaires ça existe ? On continue d’en douter…



Vagabondage : Tout cela pourrait prêter à rire si ce n’était pas si grave ! C’est le parti qu’ont pris « Les inconnus » dans un sketch que je trouve bien proche de la réalité. 





3 commentaires:

  1. J'ai entendu beaucoup de bien de ce film, et tu confirmes ces critiques.
    Je suis étonnée qui tu sois étonnée par "le manque d’expertise des dirigeants de la société qui ont besoin qu’on leur « traduise » les chiffres qui leurs sont présentés. On en vient à se demander comment ils sont arrivés à de tels postes". Franchement ça ne te rappelle rien ?
    Parfois on se dit que l'on passe à côté de désastres à chaque minute et c'est le cas, mais pour faire une catastrophe il faut que les dysfonctionnements coincident et c'est rare. Mais on vit sur un miracle continuel, toujours sur le fi. Et si la vie est merveilleusement bien faite, quand l'argent s'en mêle c'est le désastre assuré.
    Vive l'amour et l'eau fraîche !
    Kate

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    1. Ah que veux tu Kate, je suis sûrement encore bien naïve......Tu as raison, Vive l'amour et l'eau fraîche, il n'y a que ça de vrai !!!

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    2. reste telle que tu es, le monde a assez de cyniques pour tourner :-)

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